Saga T1, par Staples et Vaughan
Bonjour les bédéphiles !
Après un tout petit mini sondage que j'ai lancé sur le compte Twitter du blog (et qui a recueilli très peu de votes, mais qu'importe), j'ai constaté qu'une tendance se dégageait pour un comic qu'on ne présente plus tant il est incontournable. A noter que je l'avais déjà brièvement cité dans deux articles, donc les plus plus malins auront compris que j'en parlerais bien un jour ou l'autre ! J'ai une énorme pression que de parler d'un monument pareil, et a fortiori du premier volume seulement, mais allons-y, retour sur Saga de Brian K. Vaughan et Fiona Staples.
Un univers sans limite, peuplé de tous les possibles. Une planète, Clivage, perdue dans la lumière froide d'une galaxie mourante. Sur ce monde en guerre, la vie vient d'éclore. Deux amants que tout oppose, Alana et Marko, donnent naissance à Hazel, un symbole d'espoir pour leurs peuples respectifs. L'espoir, une idée fragile qui devra s'extraire du chaos de Clivage pour grandir, s'épanouir et conquérir l'immensité du cosmos. (Résumé issu de la quatrième de couverture)
Par où commencer ? Je n'ai pas lu tous les articles qui ont pu être écrits sur Saga (il y en a tellement !), aussi je vais tenter d'être tout de même un peu innovante afin de ne pas faire de redite. Aux bédéphiles du fond qui n'auraient pas encore lu Saga, je me doute bien que ça doit vous fatiguer que tout le monde vous dise à quel point c'est bien, et c'est fort probable qu'à force d'en entendre parler, vous vous en lassiez avant même de le lire. Donc on va essayer de comprendre ce succès en procédant par points que j'ai pu dégager de mes lectures du premier tome.
Un des points les plus importants est sans doute l'univers dans lequel est basé l'histoire. Nos auteurs n'ont pas chômé afin d'offrir à leurs lecteurs une base solide pour tous les personnages que l'on retrouve au fil des pages de ce premier volume. Pour faire simple, Continent, la plus grande planète de la galaxie, est en guerre avec Couronne, sa lune. Seulement, les deux opposants ont vite impliqué les autres planètes de l'univers, car si Continent détruit Couronne (ou vice-versa), l'autre partie serait décrochée de son orbite. Les combats des deux parties empoisonnent donc le reste de l'univers pour maintenir un semblant de paix sur leurs terres. Alana vient de Continent et fait partie de l'armée de sa planète. Affectée sur la planète Clivage et assignée à la surveillance de Marko, un prisonnier originaire de Couronne, elle en tombe amoureuse et s'enfuit avec. Quelques mois plus tard, Alana donne naissance à leur enfant, et c'est ici que l'histoire débute. Leur but premier semble de faire vivre à leur fille une vie hors de la guerre et des conflits, mais ce n'est pas aussi simple car l'armée de Continent se lance à leurs trousses, menée par le Prince Robot IV qui s'est vu forcé d'accepter cette mission.
J'en viens à un autre point essentiel à la réussite de l'histoire : l'intérêt porté à chaque personnage. Alana et Marko semblent opposés par tout : leurs origines, leur travail et par extension le rapport dominant/dominé qu'ils entretenaient à leur rencontre, leur degré de pacifisme, leur passé, etc. On en vient à se demander comment ils ont pu tomber amoureux l'un de l'autre au point d'en faire un enfant, hybridation entre leurs deux espèces. Le Prince Robot IV s'est également vu doté d'aspects plus ou moins complexes, alors qu'il aurait pu simplement être l'archétype du méchant : on comprend qu'il rentre de plusieurs années de guerre, qu'il semble traumatisé (au point de ne plus savoir faire l'amour avec sa femme), et qu'il n'a pas l'air très enchanté de se lancer à la poursuite de deux amants en fuite (il invoque plusieurs excuses au départ pour se dédouaner d'une quelconque responsabilité à leur égard).
Je n'ai par ailleurs pas abordé d'autres personnages qui ont également leur importance dans ce tome 1, à savoir Isabel et Le Testament, qui ont, eux aussi, un passé bien chargé qui justifie leurs actions. Les auteurs ont le mérite de creuser la personnalité de chacun de leurs personnages, afin que tout s'imbrique de façon très logique.
J'ai également noté que la scène d'exposition de l'album était particulière. On est tout de même lâchés en plein milieu d'une scène d'accouchement, poursuivie immédiatement par une fusillade. La scène d'exposition se déroule donc dans l'urgence et n'a pas le temps de poser les éléments requis pour la compréhension du lecteur. Nous sommes alors traînés de force dans cette urgence. C'est au final le texte narratif (qui a sa particularité aussi, on y revient tout de suite après) qui symbolise, on le comprend assez vite, la prise de parole de l'enfant né, qui permet de mieux situer les évènements présents et passés (et cela soulève chez moi plusieurs questions, notamment la suivante : pourquoi impliquer le flashback en faisant prendre la parole à l'enfant ? La réponse à cette question viendra sans doute dans les volumes suivants). Après cette scène d'urgence, les évènements qui devraient être traditionnellement mis en place et convenablement exposés sont disséminés au cours de l'histoire qui, elle, est déjà lancée.
Un autre point intéressant est celui de la position du texte narratif. Le plus souvent, la narration par le texte se retrouve non pas dans des phylactères (ou bulles) comme le texte parlé ou pensé, mais dans ce qu'on appelle des cartouches (sortes d'encadrés comme on peut en voir dans une multiplicité de bandes-dessinées). Ici, le texte est fusionné à l'image, il est écrit à même les décors. Bon, souvent, on le retrouve sous forme de blocs somme toute classiques, mais la police employée a une casse qui pourrait rappeler, en quelque sorte, une écriture manuscrite. La couleur de la police s'adapte par ailleurs à l'image dans laquelle elle se trouve, virant du blanc au noir selon les couleurs du décor. Parfois, le texte narratif se permet même des libertés intéressantes en épousant des formes, comme quand il suit les contours de Continent et de Couronne, qui sont vues de l'espace !
Passons maintenant au dessin. Comme dans beaucoup d'autres comics, celui-ci est expressif à souhaits et ne stagne pas dans un statisme qui pourrait entrer en conflit avec la situation de fuite dans laquelle se trouvent Alana et Marko. Mais au-delà de ça, on observe une variété d'espèces extraterrestres, humanoïdes ou non, qui fascinent par le naturel du trait de Staples. Il y a une précision dans le dessin qui nous plonge irrémédiablement dans l'univers de Saga comme s'il était une réalité. On veut croire que tout cela existe car les images sont si précises et détaillées que c'était comme si Fiona Staples avait observé ce qu'elle a dessiné !
N'oublions pas de mentionner les couleurs, qui pourraient au premier abord manquer de relief (on remarque beaucoup d'aplats, peu d'effets de brillance qui auraient pu donner l'air aux objets et aux personnages d'être plus proches d'un univers en trois dimensions), mais les aplats tels quels ont justement un charme qui fait que l'on apprécie plus encore les jeux de lumière et de transparence quand il y en a. L'effet d'aplanissement donné par les couleurs rend l'ensemble plus brut et épuré, et éventuellement moins fantaisiste. Ce côté brut pourrait nous confronter plus directement à la réalité de ce qu'on nous raconte, à savoir, dans les grandes lignes, la guerre millénaire de deux ennemis, et de ce couple pris entre leurs deux feux tout comme le reste de l'univers.
Enfin, si la composition des pages peut sembler assez classique à première vue, elle use tout de même d'ingéniosités occasionnelles qui apportent du mouvement à la lecture (de façon plutôt ponctuelle, certes, mais à la manière d'un coup de poing). Je pense notamment à une scène avec le Prince Robot IV, quand il renverse une table au point de la faire sortir de la case (ce choix de composition n'est plus aujourd'hui incroyablement innovant, mais il reste fort appréciable). Les cases sont larges, avec très peu de gouttière pour les séparer, et les compositions à l'intérieur même de celles-ci sont originales par les cadrages et les décors. On se retrouvera par exemple, dans une conversation plutôt tendue, face aux fesses dénudées de l'un des deux interlocuteurs au premier plan. Les points de vue ne sont pas banals, et chaque case offre un cadrage intéressant, comme si une caméra filmait la scène et la dynamisait. Impossible de se lasser de ce côté-là dans notre lecture car aucun plan ni aucune vignette ne se ressemble (j'ai en tout cas observé très peu de recyclage de dessin).
Saga est un must-have, et j'oserais même dire un must-read. Ce n'est pas par hasard si la série a remporté plusieurs Eisner Awards (trois récompenses en 2013 : meilleure série, meilleur scénariste et meilleure nouvelle série ; trois récompenses en 2014 : meilleure série, meilleur scénariste et meilleure dessinatrice ; et une nouvelle fois la récompense de la meilleure série en 2015 !), un prix Victor Hugo, plusieurs prix Harvey, et a bénéficié de plusieurs nominations à Angoulême. J'ai à peine effleuré la surface de cette série en listant plusieurs points ci-dessus, mais vraiment, lisez Saga. Je vous conseille même vivement de faire plaisir à votre bibliothèque en la décorant des volumes sortis à ce jour, elle en sera au moins aussi ravie que vous ! Et pour tous les autres qui auraient déjà lu la série, pourquoi ne pas en profiter pour la relire maintenant ? :)
A bientôt pour une nouvelle chronique !
Un univers sans limite, peuplé de tous les possibles. Une planète, Clivage, perdue dans la lumière froide d'une galaxie mourante. Sur ce monde en guerre, la vie vient d'éclore. Deux amants que tout oppose, Alana et Marko, donnent naissance à Hazel, un symbole d'espoir pour leurs peuples respectifs. L'espoir, une idée fragile qui devra s'extraire du chaos de Clivage pour grandir, s'épanouir et conquérir l'immensité du cosmos. (Résumé issu de la quatrième de couverture)
Le Testament et son Chat Mensonge. |
Un des points les plus importants est sans doute l'univers dans lequel est basé l'histoire. Nos auteurs n'ont pas chômé afin d'offrir à leurs lecteurs une base solide pour tous les personnages que l'on retrouve au fil des pages de ce premier volume. Pour faire simple, Continent, la plus grande planète de la galaxie, est en guerre avec Couronne, sa lune. Seulement, les deux opposants ont vite impliqué les autres planètes de l'univers, car si Continent détruit Couronne (ou vice-versa), l'autre partie serait décrochée de son orbite. Les combats des deux parties empoisonnent donc le reste de l'univers pour maintenir un semblant de paix sur leurs terres. Alana vient de Continent et fait partie de l'armée de sa planète. Affectée sur la planète Clivage et assignée à la surveillance de Marko, un prisonnier originaire de Couronne, elle en tombe amoureuse et s'enfuit avec. Quelques mois plus tard, Alana donne naissance à leur enfant, et c'est ici que l'histoire débute. Leur but premier semble de faire vivre à leur fille une vie hors de la guerre et des conflits, mais ce n'est pas aussi simple car l'armée de Continent se lance à leurs trousses, menée par le Prince Robot IV qui s'est vu forcé d'accepter cette mission.
Je ne peux pas m'empêcher d'apprécier le Prince Robot IV grâce à ses scènes très "nature". |
J'en viens à un autre point essentiel à la réussite de l'histoire : l'intérêt porté à chaque personnage. Alana et Marko semblent opposés par tout : leurs origines, leur travail et par extension le rapport dominant/dominé qu'ils entretenaient à leur rencontre, leur degré de pacifisme, leur passé, etc. On en vient à se demander comment ils ont pu tomber amoureux l'un de l'autre au point d'en faire un enfant, hybridation entre leurs deux espèces. Le Prince Robot IV s'est également vu doté d'aspects plus ou moins complexes, alors qu'il aurait pu simplement être l'archétype du méchant : on comprend qu'il rentre de plusieurs années de guerre, qu'il semble traumatisé (au point de ne plus savoir faire l'amour avec sa femme), et qu'il n'a pas l'air très enchanté de se lancer à la poursuite de deux amants en fuite (il invoque plusieurs excuses au départ pour se dédouaner d'une quelconque responsabilité à leur égard).
Je n'ai par ailleurs pas abordé d'autres personnages qui ont également leur importance dans ce tome 1, à savoir Isabel et Le Testament, qui ont, eux aussi, un passé bien chargé qui justifie leurs actions. Les auteurs ont le mérite de creuser la personnalité de chacun de leurs personnages, afin que tout s'imbrique de façon très logique.
J'ai également noté que la scène d'exposition de l'album était particulière. On est tout de même lâchés en plein milieu d'une scène d'accouchement, poursuivie immédiatement par une fusillade. La scène d'exposition se déroule donc dans l'urgence et n'a pas le temps de poser les éléments requis pour la compréhension du lecteur. Nous sommes alors traînés de force dans cette urgence. C'est au final le texte narratif (qui a sa particularité aussi, on y revient tout de suite après) qui symbolise, on le comprend assez vite, la prise de parole de l'enfant né, qui permet de mieux situer les évènements présents et passés (et cela soulève chez moi plusieurs questions, notamment la suivante : pourquoi impliquer le flashback en faisant prendre la parole à l'enfant ? La réponse à cette question viendra sans doute dans les volumes suivants). Après cette scène d'urgence, les évènements qui devraient être traditionnellement mis en place et convenablement exposés sont disséminés au cours de l'histoire qui, elle, est déjà lancée.
J'ai un petit faible pour Marko et sa complexité. |
Un autre point intéressant est celui de la position du texte narratif. Le plus souvent, la narration par le texte se retrouve non pas dans des phylactères (ou bulles) comme le texte parlé ou pensé, mais dans ce qu'on appelle des cartouches (sortes d'encadrés comme on peut en voir dans une multiplicité de bandes-dessinées). Ici, le texte est fusionné à l'image, il est écrit à même les décors. Bon, souvent, on le retrouve sous forme de blocs somme toute classiques, mais la police employée a une casse qui pourrait rappeler, en quelque sorte, une écriture manuscrite. La couleur de la police s'adapte par ailleurs à l'image dans laquelle elle se trouve, virant du blanc au noir selon les couleurs du décor. Parfois, le texte narratif se permet même des libertés intéressantes en épousant des formes, comme quand il suit les contours de Continent et de Couronne, qui sont vues de l'espace !
La Traque, en mauvaise posture. |
N'oublions pas de mentionner les couleurs, qui pourraient au premier abord manquer de relief (on remarque beaucoup d'aplats, peu d'effets de brillance qui auraient pu donner l'air aux objets et aux personnages d'être plus proches d'un univers en trois dimensions), mais les aplats tels quels ont justement un charme qui fait que l'on apprécie plus encore les jeux de lumière et de transparence quand il y en a. L'effet d'aplanissement donné par les couleurs rend l'ensemble plus brut et épuré, et éventuellement moins fantaisiste. Ce côté brut pourrait nous confronter plus directement à la réalité de ce qu'on nous raconte, à savoir, dans les grandes lignes, la guerre millénaire de deux ennemis, et de ce couple pris entre leurs deux feux tout comme le reste de l'univers.
Enfin, si la composition des pages peut sembler assez classique à première vue, elle use tout de même d'ingéniosités occasionnelles qui apportent du mouvement à la lecture (de façon plutôt ponctuelle, certes, mais à la manière d'un coup de poing). Je pense notamment à une scène avec le Prince Robot IV, quand il renverse une table au point de la faire sortir de la case (ce choix de composition n'est plus aujourd'hui incroyablement innovant, mais il reste fort appréciable). Les cases sont larges, avec très peu de gouttière pour les séparer, et les compositions à l'intérieur même de celles-ci sont originales par les cadrages et les décors. On se retrouvera par exemple, dans une conversation plutôt tendue, face aux fesses dénudées de l'un des deux interlocuteurs au premier plan. Les points de vue ne sont pas banals, et chaque case offre un cadrage intéressant, comme si une caméra filmait la scène et la dynamisait. Impossible de se lasser de ce côté-là dans notre lecture car aucun plan ni aucune vignette ne se ressemble (j'ai en tout cas observé très peu de recyclage de dessin).
Les plans sont quand même assez dingues ! |
Saga est un must-have, et j'oserais même dire un must-read. Ce n'est pas par hasard si la série a remporté plusieurs Eisner Awards (trois récompenses en 2013 : meilleure série, meilleur scénariste et meilleure nouvelle série ; trois récompenses en 2014 : meilleure série, meilleur scénariste et meilleure dessinatrice ; et une nouvelle fois la récompense de la meilleure série en 2015 !), un prix Victor Hugo, plusieurs prix Harvey, et a bénéficié de plusieurs nominations à Angoulême. J'ai à peine effleuré la surface de cette série en listant plusieurs points ci-dessus, mais vraiment, lisez Saga. Je vous conseille même vivement de faire plaisir à votre bibliothèque en la décorant des volumes sortis à ce jour, elle en sera au moins aussi ravie que vous ! Et pour tous les autres qui auraient déjà lu la série, pourquoi ne pas en profiter pour la relire maintenant ? :)
A bientôt pour une nouvelle chronique !
Le blog de Fiona Staples : FIONA STAPLES
© Staples, Vaughan, Urban Comics (coll. Indies) |
- Titre : Saga T1
- Scénario : Brian K. Vaughan
- Dessin et couleur : Fiona Staples
- Pages : 168
- Éditeur : Urban Comics, collection Indies
- Prix éditeur : 16 euros
- Année d'édition : 2013
- ISBN : 978-2-365-77201-3
Les images contenues dans cet article
sont issues de l'ouvrage dont il est question ici, à l'exception de la
photographie d'introduction qui m'appartient.
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